15 avril 2012

Gafsa


       Cinq lettres sorties de nulle part pour retomber on ne sait où. Gafsa, le fantôme mouvant, le point perdu sur la carte, une sorte d'anti-ville comme tant d'autres dans ce que l'on appelle gentiment " les zones intérieures ".
La pluie ne passe que rarement. Même le désert ne veut pas y entrer. Quand on naît gafsien on naît coincé entre deux Tunisiens, celle du sud et celle du nord, sans appartenir réellement ni à l'une ni à l'autre. Ni les champs d'oliviers, ni les oasis de palmiers. Ni la mer ni le Sahara. Alors quand la nature s'acharne à vous plonger dans l'oubli, comment le gouvernement peut-il se rappeler de vous ?

  Au commencement était Capsa la préhistorique, puis ce fut Utique la phénicienne, avant que les byzantins ne l'appellent Justiniana. L’histoire et la géographie ont construit lentement l'identité de la cité. Mais Gafsa n'était pas Carthage, Gafsa n'était pas Tunis. La distance est trop longue et les dirigeants voyait évidemment très mal au delà de leur palais. À l’injustice de la nature allait s'ajouter celle des hommes. Le pouvoir allait oublier la ville et la région. Lazhar Chraiti et les autres fellaghas se sont évaporés entre les pages de l'Histoire telle que l'a écrite le pouvoir. Il semble que cette région est condamné à la misère. Elle est riche ? On lui volera sa richesse. Elle est fière? On brisera sa fierté. C'est ainsi que la région de Gafsa voit disparaitre les millions de dinars que rapporte le phosphate qu'on extrait de son sol à longueur d'année. Dès qu'il prend les wagons pour le port de sfax, l'odeur de l'argent s'évapore malicieusement avant même que la sueur ait séché sur le front des mineurs. Toute leur vie les gafsiens verront ainsi leurs espoirs partir lentement au loin dans un wagon dont sait d'avance qu'il ne reviendra pas. L'école publique est morte, la République se meurt et bientôt c'est l'Espoir même que l'on s'apprête à viser. " L’artisan du changement ", le président Ben Avi se présente pour une énième élection gagnée d'avance. Que dire ? On a pas le droit de parler. Mais si on ne peut rien dire, qu'en pense-t-on ? On ne sait pas vraiment quoi penser, alors on ne pense plus. On se shoot tout simplement; au thé, on se shoot au capucin, à la chicha, au foot , à la religion. Les opiums ne manquent pas à Gafsa. Chaque jour il faut trouver les quelques dinars nécessaire au fond d'une poche désespérément vide. Parfois on y met la main deux fois, sait-on jamais, mais il n'y a rien. Puis on est forcé de ravaler sa dignité et demander un peu de "masrouf" au père. Sur le chemin du café on croise les enfants de la balles, et on se revoit tout petit footballeur au milieu de vingt autres dans des parties interminables. On croise aussi la jolie fille qui nous plait mais dont on ose à peine rêver, comment trouver l'argent pour se marier alors que l'on en a pas pour s'habiller correctement ? Et puis il y a le vieux hadj qui revient de sa prière, l'employé municipal, quelques chats cherchant leur poubelle... Quand il fera noir il faudra rentrer, et trouver le moyen de dormir. Demain, c'est déjà aujourd'hui, et on n'en sort plus. Les jeunes de Gafsa sont déjà vieux à trente ans, sans espoir, sans tristesse, sans joie, sans rien. Ils errent dans cet espace comme leur ville erre au milieu de la géographie. Demandez à un touriste s'il connais Gafsa, s'il se rappelle de quelque chose il vous dira la véritable identité de la ville: un point de transit, une station de repos pour les voyageur que le trajet Tunis-Tozeur fatigue un peu trop. Si on veut faire une grande tournée dans le sud désertique tunisien on s'arrête un ou deux jours à Gafsa, on va visiter la piscine romaine et le musée, puis on repart. Les habitants de Gafsa eux partent parfois pour ne plus revenir. La ville s'agrandit, les magasins de vêtements et les hyper-marchés se développent, mais les inégalités sont toujours là, comme une cicatrice dont on ne guérit pas. On essaye alors de maquiller la pauvreté en la parfumant, en la colorant, en la déguisant. On se donne des illusions et on s'achète quelques moments d'évasion. Ainsi va la vie, ainsi en a décidé le maktoub.


 Alors quand le vent de la Révolution a soufflé, on s'est pris à croire au renouveau annoncé depuis si longtemps. Il n'y avait qu'une Révolution qui pouvait arracher la ville à son triste destin, et voici que la révolution frappe aux portes de toutes les maisons. Désormais, le Gafsien pourrait être un citoyen libre et digne tout autant que son frère du nord! Le moment est historique! L'attente est immense chez ces gens si longtemps habitué à ne plus rien attendre. On entrevoit les lueur de l'Espoir enfin, et elles semblent traverser les montagnes de Orbata, les murs de la prison s'écroulent, il y a un futur à construire dès aujourd'hui. Hélas, voilà un an que ladite révolution est en marche et elle n'a toujours pas trouvé le chemin des Gafsiens. Derrière les murs de leur prison à ciel ouvert les habitants découvrent un désert politique auquel ils ne s'attendaient pas, et les rayons des lointaines lueurs carthaginoises n'apportent rien avec eux. Tant de sang versé pour rien. La chute est rude et cruelle, la désillusion se lit sur tous les visages. Les Gafsiens ne savent plus si c'était un rêve éveillé ou une réalité qui leur a glissé entre les mains. Ils se de nouveau en attente, Gafsa est de nouveau en transit, en attendant des jours meilleurs. En attendant la Révolution.  
                                                                                                       Wessim Lakhdar

4 comments:

Excellent texte mais beaucoup de fautes d'orthographe dans le dernier paragraphe!

@Yacine Hichri:

Voilà c'est corrigé, il y a eu un petit couac lorsque j'ai envoyé l'article à la rédaction.

Amicalement.
W.L.

Arrêtes d insulter la rédac !

J'ai bien lu votre article et je trouve que vous avez bien choisi le sujet,c'est un ajout à tout le monde,les expressions sont explicites et faciles à comprendre pour toutes les tranches d'âge, gardez ce niveau et courage !!

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